Un matin, le ciel était noir, la lune rousse jouait à cache-cache avec les hommes. L’aurore commença à éclairer timidement les toitures. La rue venait d’être nettoyée, les trottoirs étaient d’une propreté surprenante. Pas un chat ne se risquait à montrer son museau.

Curieusement, seules quelques motos pétaradaient dans les artères de Cholon. Le reste du temps, un silence insolite figeait le quartier chinois. Toutes les boutiques étaient fermées, les rideaux métalliques descendus.

La veille, à la même heure, les magasins fourmillaient encore d’activités. Un grondement se fit entendre à quelques pâtés de maisons. Le bruit roulait en s’amplifiant, faisant place à un rythme régulier…; Je reconnus le ton des gros tambours. Le Dragon se réveillait… !

Ce jour-là les jeunes, des divers clubs d’arts martiaux de la ville, vont se confronter. Ils rivaliseront de prouesses dans les démonstrations que le public viendra voir devant chaque temple.

La fête du Têt, le Nouvel An vietnamien, commence entre la dernière semaine de janvier et la troisième de février. Dans toute l’Asie, le calendrier lunaire rythme la vie et les croyances des populations. Chaque année lunaire est régie par un animal mythique de l’astrologie chinoise.

Aujourd’hui, c’est le coq qui prend son envol. Durant plus d’une semaine l’activité du pays va se figer. La tradition enseigne que le premier jour de Têt est le seul où les morts reviennent parmi les vivants. Tout le monde se doit de leur rendre hommage sous peine de subir leur courroux. Sur les trottoirs, des petites dessertes sont couvertes de dons pour les âmes égarées.

Dès les premières heures du jour, dans chaque foyer, les familles se recueillent devant l’autel des ancêtres. Disposées sur un meuble, au centre de l’habitation, d’extraordinaires offrandes y sont présentées à ceux qui ont quitté la famille. Ce jour-là, personne ne doit travailler ni se disputer, sous peine de traverser une année de douleur et d’épreuves. C’est aussi un immense moment de joie où les membres de la famille se retrouvent pour une des rares périodes de vacances de l’année.

Dans toutes les pagodes, au cœur de chaque temple, dans une féerie de couleurs, de mouvements et de coups de tambours, le dragon danse… ! Les jeunes garçons habillés aux couleurs de leur club animent le corps de l’animal mythique. Les plus expérimentés rentrent dans de petits dragons qui sauteront, d’un poteau à l’autre, au-dessus de la foule. Les plus jeunes manipulent des petits griffons, à grosses têtes, qui clignent des yeux et circulent au milieu du public. Pour le plaisir des plus petits, un grand dragon de papier chamarré s’anime au bout de longues perches. Les jeunes athlètes le font onduler et danser comme un énorme serpent qui vole.

Toutes ces démonstrations sont rythmées par les battements de gros tambours rituels. Pour terminer, les dragons vont rentrer dans le temple pour lui insuffler la force vitale de la nouvelle année. Au bout de quelques minutes, les êtres fabuleux ressortiront de l’édifice à reculons. En ce jour, une année meurt, une autre renaît.

Durant de ces 24 heures, les fidèles se succéderont dans chaque temple. Les yeux pleureront sous l’épaisse fumée des bâtons d’encens. Par centaine, les femmes et les hommes accompliront leurs dévotions devant chaque statue. La plupart visiteront plusieurs lieux de culte successivement. Aux heures les plus chargées, il est particulièrement difficile d’avancer dans la foule qui remplie alors les pagodes.

Je garde au fond de moi ces regards étonnés lorsque certains voyaient cet Occidental prier comme eux. Durant les jours qui suivirent, armé de ma seule caméra, je poursuivis les dragons. Je n’ose imaginer ce qui me serait arrivé si l’un d’eux avait déversé son feu purificateur sur mon humble personne…

Je possède maintenant une dizaine d’heures d’images. Cette base pourrait me permettre de monter un documentaire intéressant. Toutefois, n’ayant pas de producteur ni de moyen de montage ici, je suis limite dans mon action. Comme vous pouvez le voir, à l’entrée de cette nouvelle année vietnamienne, ce n’était pas l’oisiveté qui me gagnait. Je fis le souhait que le signe du coq soit propice aux Français en Asie, mais aussi dans leur pays…