Histoire du bouddhisme japonais

Les origines du bouddhisme au Japon se confondent avec les rapports que ce pays entretint avec la Chine des Tang et la Corée à l’époque Nara (710-794). Outre le bouddhisme et le confucianisme, le Japon hérita des kanji (caractères chinois) ; de la peinture et de la calligraphie ; du thé, entre autres plantes originaires de l’Empire du Milieu; de l’architecture, notamment celle des temples et des pagodes…

Une bonne moitié du vocabulaire japonais est chinois – le reste venant vraisemblablement de l’anglais – et le plus complet et le plus employé des deux systèmes numéraires utilisés au Japon est le système chinois.

Les premières sectes qui se sont installées au Japon à l’époque Nara sont Kucha, Ritsu, Jojitsu, Hosso, Sanron et Kegon. Kucha et Ritsu étaient des sectes Théravada, Jojitsu est en transition entre cette école et celle du Mahayana, les trois dernières sont clairement de cette dernière école. Ces sectes trouvèrent bientôt le support du prince Shotoku (574-622). Sous son patronage le bouddhisme perça dans les milieux aristocratiques et devint un des éléments centralisateurs du pouvoir impérial. Officiellement arrivé au Japon en 538, il fut déclaré religion d’État en 592. Shotoku est à l’origine de la construction de plusieurs temples, dont le fameux Horyuji à Nara.

Si toutes les tendances bouddhistes vues dans la précédente section sont ou ont été représentées au Japon (voir ici), c’est l’école Mahayana qui domine largement. Les premières sectes installées au Japon peuvent parfois encore exister – Todaiji à Nara est affilié à la secte Kegon, Hosso aurait encore deux ou trois temples et Ritsu semble constituer une forme particulière de Shingon – mais elles ont pour la plupart disparues et ont laissé place à sept sectes majeures encore actives.

À l’époque Heian (794-1192), deux sectes dites ésotériques, affiliées au bouddhisme tibétain, apparaissent au Japon : la secte Tendai, fondée au Mont Hiei près de Kyoto par Saicho (Kogyo Daishi), et la secte Shingon, fondée au Mont Koya, près de Wakayama, par Kukai (Kobo Daishi). Les deux moines voyagèrent à la même époque en Chine, d’où ils rapportèrent leur enseignement. Les deux sectes auront une grande popularité à l’époque Heian, mais leur influence déclinera dès l’époque Kamakura sous la poussée des nouvelles sectes que nous verrons plus bas.

Le bouddhisme ésotérique présuppose un enseignement initiatique qui se base sur une multitude de dieux et d’univers. Les deux sectes ont une tradition de chants sacrés.

L’enseignement de la secte Shingon est le plus proche du bouddhisme Vajrayana. Cet enseignement, qui comprend la magie, utilise les mandala, ces représentations cosmogoniques, les mantra que l’on répète durant la méditation, et les mudra, les gestes symboliques que le Bouddha fait avec ses mains. Dainichi Nyorai, avec sa nombreuse suite d’aides et de gardes, est le plus important dieu pour les fidèles Shingon.

Outre que la secte (shu) Shingon se subdivise en écoles (ha), comme Buzan, Chizan, Daigo, Daikakuji ou Ono – il y en aurait quarante-six – il existe une secte Shingon Ritsu, fondée au 13ième siècle, qui associe le bouddhisme ésotérique de la première à la rigueur morale de la seconde. Elle est présente à Nara et Kamakura.

La secte Tendai a ses origines dans la secte chinoise Tien-tai, qui serait la secte dominante actuellement en Chine. La secte Tendai est probablement la plus éclectique de toutes les sectes japonaises, et inclut dans sa pratique tous les enseignements de la doctrine bouddhiste, tout en privilégiant l’étude du sutra du lotus, considéré comme le plus élevé du canon. On y pratique donc la méditation, les chants et prières, l’étude académique, les arts et l’adoration de la nature. Les pratiques ésotériques, l’utilisation des mantras, des mudras et des mandalas, s’ajoutèrent aux enseignements chinois, une fois le fondateur revenu au Japon.

Plus élitiste que la secte Shingon, elle s’adressa d’abord surtout à l’aristocratie. À l’époque Heian, elle acquit un pouvoir politique colossal, grâce à des moines-soldats qui construisirent sur le mont Hiei un complexe de quelques trois milles bâtiments. Mais au début de l’époque Kamakura, qui suivra Heian, Oda Nobunaga détruira le temple et le pouvoir de la secte Tendai.

La secte est fameuse pour ses « moines marathoniens », qui pendant 1000 jours parcourent quotidiennement 80 km autour du mont Hiei, un exercice qui leur permet de pratiquer tous les aspects de la pratique Tendai. La secte, qui se subdivise en une vingtaine d’écoles, est largement responsable de la fusion, au moins idéologique, du bouddhisme et du shinto, la religion indigène du Japon, un peu comme le bouddhisme en Inde a intégré les dieux hindous.

Le mouvement Shugendo a été largement influencé par ces deux sectes, mais aussi par le shinto, le taoïsme, le shamanisme et le tantrisme. Ses membres sont les yamabushi, ceux qui « dorment dans la montagne », des ascètes qui pratiquent la magie. Il aurait été fondé par Ozunu Enno, aussi connu sous le nom de Enno Gyoja, un moine, ascète et magicien affilié à Kobo Daishi. Le dieu protecteur de la secte est Zao Gongen, qui se tient sur une jambe.

À l’époque Kamakura (1192-1333), la classe des guerriers supplante l’aristocratie et un shogun domine la politique nationale. Cette période voit deux courants importants se développer. D’abord, apparu dès l’époque Nara, se développe un bouddhisme des masses. Ensuite, apparaissent les sectes zen : Rinzai par le moine Eisai en 1191, et Soto par le moine Dogen en 1227.

La secte Rinzai donne priorité aux koan et propose, par l’étude assidue, une illumination relativement rapide. Mais elle utilise d’autres techniques, comme la méditation, les hurlements, l’étude académique et, étant plus particulièrement liée aux samurai, les arts martiaux. Elle se subdivise en une quinzaine de sous-sectes portant le nom de leur temple principal.

De son côté, la secte Soto préconise une illumination lente par de longues méditations. Elle ressemble le plus à ce que nous percevons généralement comme zen. Elle est traditionnellement plus attirante pour les artistes et les poètes. Elle n’est formée que d’une seule organisation et est la plus grande secte zen au Japon.

Il est à noter que la secte Obaku fut fondée en 1654 par le moine chinois Ingen, qui fuyait les mandchous. Elle a une affiliation idéologique avec la secte Rinzai, mais utilise aussi des éléments de la Terre Pure, que nous verrons ensuite. Si elle ne fut pas importante d’un point de vue religieux, elle aura une influence dans la peinture zenga.

Mais tout un chacun ne peut passer son temps en contemplation de signes cosmogoniques complexes, à recevoir des coups de bâton pour ne pas s’endormir pendant la méditation ou à jongler avec des contradictions et des calembours. Pour le commun des mortels, l’amidisme, qui suit le bouddha Amida, seigneur du paradis occidental, ne vous offre pas l’illumination rapide, mais vous met à l’abri des réincarnations à la seule condition que vous manifestiez votre foi en Amida. Ce courant, qui est dit de la Terre Pure, engendrera deux sectes principales : Jodo fondée par Honen et Shin Jodo fondée par Shinran.

Notons enfin que le mouvement Shin Jodo se divise en deux organisations indépendantes, Jodo Shinshu Honganjiha et Shinshu Otaniha, qui ont le même enseignement, et qu’il est la secte amidiste la plus importante au Japon.

À la même époque et dans le même esprit le moine Nichiren Daishonin fonda une secte portant son nom – Nichiren – où on ne se préoccupe plus que du sutra du lotus. Si Nichiren Shoshu est l’organisation principale de ce courant, en fait il y a une quarantaine de groupes se réclamant de Nichiren. Ce courant « lotusien », qui commence avec la secte Tendai, porte le nom de Hokke.

Ces trois sectes – Jodo, Shin Jodo et Nichiren – ne demandent à leurs membres que de répéter une formule de foi. C’est en quelque sorte l’illumination par autrui poussée à son extrême : on s’en remet entièrement à la bienveillance de la divinité.

Mentionnons pour fin d’exhaustivité les sectes Yuzunenbutsu, Ji et Fuke. La première, fondée par Ryonin (1072-1132), serait influencée par la secte Kegon. La seconde, fondée par Ippen (1239-1289) est reliée au bouddhisme zen. Mais ces deux sectes, qui auraient aussi des éléments d’amidisme, ont très peu d’influence au Japon. Fuke, influencée par la secte Rinzai et apparue à l’époque Kamakura, aurait été dissoute en 1871.

Enfin, depuis la fin de l’ère Edo (1603-1868), plusieurs groupes religieux se sont installés ou ont été fondés au Japon. Ceux reliés au bouddhisme sont souvent inspirés par le sutra du lotus, comme Reiyukai, Rissho Koseikai, Bussho Gonenkai Kyodan et Soka Gakkai, ou parfois se réclament du bouddhisme ésotérique comme Shinnyo-En.

Le panthéon bouddhiste

Quand on visite un temple bouddhiste japonais, un otera, on est souvent frappé par les statues qui du haut de leur pied d’estal posent sur nous leur regard. Le panthéon bouddhiste, du moins dans les écoles Mahayana et Vajrayana, est riche et complexe, parfois contradictoire, les concepts changeant d’une secte à l’autre et dans le temps, et savoir qui est qui dans cette foule divine est souvent difficile. Essayons de nous y retrouver.

D’abord il y a quatre niveaux dans les divinités bouddhistes japonaises :

Les nyorai

Les bosatsu

Les myo-o

Les tenbu

Les nyorai sont les bouddhas. Êtres illuminés (l’illumination est appelée bodai ou satori, en japonais) ayant atteint le nirvana (nehan ou nibbana, en japonais), ils constituent le haut de la pyramide. Ils sont représentés portant une simple robe, souvent assis, calmes et doux, faisant avec les mains un mudra, un signe symbolique, souvent d’accueil ou de réconfort. On dit bien les bouddhas, car outre le Bouddha historique, on en compte au moins quatre autres importants :

Shaka Nyorai est le Bouddha historique, fondateur du bouddhisme. Ses deux aides sont traditionellement Monju et Fugen, deux bosatsu, avec lesquels il forme la triade Shaka sanzon.

Dainichi Nyorai, aussi appelé Birushana ou Roshana, est le bouddha cosmique et ses messagers sont les myo-o. Il est connu ailleurs sous le nom Vairocana.

Amida Nyorai est le gardien du Paradis occidental et est vénéré par les sectes de la Terre Pure: Jodo et Shin Jodo. Avant la création de son paradis, il portait le nom de Hozo Bosatsu. Il est escorté par Kannon et Seishi, deux autres bosatsu, avec lesquels il forme une triade appelée Amida sanzon, mais Jizo remplace parfois Seishi dans ce rôle. Qu’à cela ne tienne, il y a aussi un Amida gobutsu regroupant Kannon, Seishi, Jizo et Ryuuju autour de Amida.

Yakushi Nyorai est celui de la médecine, ses aides sont Nikko et Gakko, et il commande les 12 généraux, les yaksa.

Miroku Bosatsu est le bouddha de l’avenir qui sauvera le monde ultimement, soit vers l’an quatre mille, soit dans 5.65 milliards d’années selon la secte Shingon. Pour l’instant c’est un bosatsu. Pour reconnaître le nyorai que l’on contemple, la position des mains, le mudra qui nous est montré, est particulièrement utile. Mais un même mudra peut être utilisé par plusieurs bouddhas. La table qui suit en présente quelques-uns.

Shaka Nyorai

À gauche, le Bouddha est en méditation, les mains formant une espèce de bateau et les pouces se rejoignant en cercle.

À droite, la main levée est un signe d’apaisement. Dans l’autre, ailleurs en Asie, il pourrait tenir un bol d’aumône.

À gauche, le mudra est celui du premier sermon, où le Bouddha mis en branle la roue de la loi. Ce relief n’est pas japonais.

À droite, la main levée est encore un signe d’apaisement, alors que celle qui est tendue, représente les voeux exhaucés par le Bouddha de ceux qui acceptent son enseignement. Cette statue, de la dynastie des Tang, est chinoise.

À gauche, le Bouddha en ascète, ce qui semble lui être exclusif.

À droite le Bouddha prenant la terre à témoin de sa victoire contre les tentations. Les deux statues sont thibétaines.

Dainichi Nyorai

À gauche, le mudra est celui de la matrice et symbolise la méditation. vÀ droite, on voit le mudra de diamant. Notez la couronne, parure exceptionelle pour un nyorai, mais que porte parfois celui-ci.

Amida Nyorai

À gauche, Amida accueille et guide les humains dans son paradis occidental. L’index et le pouce de chaque main se touchent.

À droite, il est en méditation. Notez les doigts relevés.

Yakushi Nyorai

À gauche, Yakushi Nyorai porte souvent une fiole dans la main gauche, la droite étant levée en signe d’apaisement.

Mais comme on peut voir à droite, ce n’est pas toujours le cas. La position des mains ici est un des mudras classiques de Shaka Nyorai.

Miroku Nyorai

En haut à gauche, on note l’aspect chargé, caractéristique d’un bosatsu. À ce sujet voir plus loin.

En haut à droite, Miroku est assis, une jambe pendante, une main sur la joue, comme en réflexion, et l’autre touchant le sol ou son genou. C’est une position qui lui est exclusive.

En bas à gauche, la position est similaire à une des positions classiques de Shaka Nyorai.

En bas à droite, il tient quelque chose, peut-être une petite pagode, symbole du bouddhisme. Il y a d’autres nyorai, ainsi les Tathagata, les cinq grands bouddhas de sagesse, qui ici aussi sont importants pour la secte Shingon, comptent :

Dainichi Nyorai (gardien du centre)

Fukujoju Nyorai (gardant le nord)

Hosho Nyorai (qui est au sud)

Ashuku Nyorai, le bouddha d’Abhirati, la terre du bonheur extrême (à l’est)

Amida Nyorai (l’occidental)

Pourquoi un gros Bouddha souriant ?

Il semble que ce bouddha soit la version chinoise de Maitreya (Milefo en chinois et Miroku en japonais), mais prenant les traits d’un moine du 10ième siècle appelé Chang Dingzi, qui passa pour sa réincarnation. Notons que Hotei, un des sept dieux de la chance, a les mêmes traits, est aussi d’origine chinoise, mais est l’illustration d’un autre moine.